ON SUPPOSE DES ETRES VIVANTS
QUI MARCHENT LA TETE EN BAS

 

« A ce propos, garde toi bien de croire, Memmius, que toute chose tende, comme disent certains philosophes, vers le centre du monde, et que le monde subsiste ainsi sans avoir besoin de chocs extérieurs, extrémités supérieures ou inférieures ne pouvant s’échapper dès l’instant qu’il y aurait tendance universelle vers un centre. Mais comment croire qu’un corps se soutienne par lui-même, que des corps pesants, situés de l’autre côté de la terre, se tiennent dressés dans l’air et donc reposent sur le sol à l’inverse des nôtres, ainsi que nous voyons les images renversées dans l’eau ? C’est en vertu de ces idées qu’on suppose des êtres vivants qui marchent la tête en bas, et qui pourtant ne peuvent pas plus tomber de la terre dans le ciel inférieur que nos corps ne pourraient s’envoler d’eux-mêmes vers la voûte céleste; des êtres enfin, qui voient le soleil quand se découvrent les astres de la nuit, qui partagent alternativement les saisons, et qui ont des nuits égales à nos jours. (...)

Ne crois pas, cependant qu’il n’y ait partout que matière : car il y a du vide dans la nature. Voilà une connaissance qui te seras utile en bien des cas. Posons donc en principe qu’il y a un espace intangible et immatériel, le vide. S’il n’y en avait point, les corps ne pourraient absolument pas se mouvoir ; cette propriété qu’a chaque corps de s’opposer, de résister, ferait, à tout moment, obstacle à tous ; rien n’avancerait parce que rien ne commencerait à céder. S’il n’existait point de vide, les corps ne connaîtraient point l’agitation de ces mouvements ; bien plus, ils ne seraient pas arrivés à l’existence, parce que la matière, comprimée de toutes part, serait toujours demeurée en repos (...)

De même tu pourras, dans cette étude aller seul de conséquence en conséquences, pénétrer les profondeurs les plus obscures et en tirer la vérité qui s’y cache … »

Titus Lucretius Carus, 98 - 55 av. JC
De natura refum - Livre I