FAUX PAS

 

Ne pas penser : cela, sans retenue, avec excès,
dans la fuite panique de la pensée.

 

     L'angoisse de lire: c'est que tout texte, si important, si plaisant et si intéressant qu'il soit (et plus il donne l'impression de l'être), est vide - il n'existe pas dans le fond ; il faut franchir un abîme, et si l'on ne saute pas, on ne comprend pas.

     Le saut mortel de l'écrivain sans lequel il n'écrirait pas, est nécessairement une illusion dans la mesure où, pour s'accomplir réellement, il faut qu'il n'ait pas lieu.

     Sombrer, désir de la chute, désir qui est la poussée et l'attrait de la chute, et l'on tombe toujours plusieurs, chute multiple, chacun se retient à un autre qui est soi et est la dissolution - la dispersion - de soi, et cette retenue est la précipitation même, la fuite panique, la mort hors de la mort.

     Toute image est attirante, attrait du vide même et de la mort en son leurre. L'enseignement du mythe virant à la fable, est éducatif, serait qu'il ne faut pas se fier à la fascination des images qui trompent.

     Ce n'est qu'en tant qu'infini que je suis limité.

     Infini-limité, est-ce toi ?

     Toutes ces pensées qui pourraient n'être que les traits d'une morale retournée, se séparent de leur stricte signification et sont les figures du monde que le regard se représente en vain. Telle est dans un art symbolique la plus complète métamorphose. L'idée devient univers et l'image, pensée de l'abîme. La flèche qui ouvre la nuit, c'est finalement une abstraction.

 

Maurice Blanchot, 1990
Faux pas & L'écriture du désatre