JE VOIS LA BOUCHE OUVERTE D'UN SERPENT
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« Je vois la bouche ouverte d'un serpent qui vient de mourir. Je comprends à présent ce qu'est l'Ourobouros, le serpent qui se mord la queue, car sa bouche et son anus sont une seule et même chose. L'Ourobouros, c'est la bouche qui mord l'anus, l'identité grecque, pour laquelle A est égal à A; dans le serpent égyptien, ce qui crée est égal à ce qui détruit. Le phallus in integrum restitutum, dont le revers se trouve dans le morceau de chair de la gueule du serpent.(...) Intestin visible, guettant le retour de la noire planète placentaire qui le fera dormir. Il dort, commence à respirer, songe informe caillot de sang franchissant le défilé des anneaux. "Pli selon pli", comme dit Mallarmé. Et au bout, le caillot devient bouche. » |
« Ils se dressent à la verticale, leur bouche dans la bouche de l'homme, se lovent, se chevauchent, des bras sortent de l'anus comme des queues oscillantes. Le gouffre de Trophonios se contracte, poursuit son noir dessein, ailes de chauve-souris, débris de stalactites, excrément pétrifié, res extensa de cuivre martelé, semences enterrées de muscinées, museau écrasé, carton gris de fils d'araignée, cartable effiloché détrempé. Tout y entre ! Les coups de boutoir du cylindre des légions ondulantes, qui veut forcer, coûte que coûte, le passage, et le noir dessein, Trophonios ébranlé cédant, élastiques avachis, un anneau de plus est enfoncé. (...) Tout y entre ! Et encore, le paon nourri d'araignées et de serpents, et la queue du paon opposée à la naissance du monde, et la queue de Junon où s'inscrivent les constellations. Pourquoi le paon arrête-t-il le serpent ? (...) C'est le triomphe du ciel étoilé sur le sang qui couvre la gueule du serpent, où glissent toutes les couleurs de la queue du paon, comme si la voûte céleste se précipitait sur le sang avec la rougeur qui rampe et le bleu du caillot, le sang sur le bûcher, le déploiement brusque de la queue du paon paradant sur le ciel d'été, la gueule du serpent lassée du phallus, gueule qui mord l'anus dans le froid attendu de l'Eternel Retour. Tout y entre ! Le centre est dans la bouche, quincunce battu par le vent qui a soufflé sur le bûcher, étouffé par le sang du serpent, fruit d'un sacrifice, celui de la bouche du fruit. Dans la colonne qui a remplacé le bûcher, on voit les queues de cinq serpents enterrés qui ne peuvent former le cercle ni jouer de leur feu. Quand l'un d'eux réussit à sortir la tête de la colonne, c'est un serpent mort, la colonne, gaine d'un Terme, comme un phallus qui sourit, ne tient plus dans sa bouche. Le cercle s'ouvre en spirale, troublée la voûte céleste déploie la queue du paon. Secouer la tête du serpent, c'est provoquer un tourbillon dans le Chaos ... »
José Lezama lima, 1977
"Oppiano Licario "
NOTES
Illustration : "Logo de l' Association Pour une vision gobale", Janus et l'Ourobouros du Codex marcianus (manuscrit grec du dixième siècle).
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