SUR LE VIRTUEL, LA VIDÉO
ET LA FANTASMAGORIE EN GÉNÉRAL

 

Fantasmagorie : n, f. (du gr. Phantasma, apparition, etagoreuein, parler en public, avec influence d'allégorie). Art de faire apparaître des fantômes dans une salle obscure à l'aide d'illusions optiques.

J'ai réalisé ces dernièresannées1 plusieurs installations vidéo/sculptures inspirées des machineries extravagantes de Raymond Roussel décrites dans"Impressions d'Afrique"ou"Locus Solus" et en rapport étroit avec les "Séances de fantasmagories" que popularisa Etienne-Gaspard Robertson au milieu du XVIIIème siècle. Le succès qu'elles rencontrèrent, tînt pour beaucoup à la vogue que connurent tout au long de cette époque les "Cabinets de physique" plus spectaculaires que réellement instructifs. Les dispositifs vidéo"Impressions des îles Chatham", "Zeïtmachine" ou encore "État d'absence du ..." et "(...)" proposent une apparition du vide, une illusion en négatif« La fantasmagorie du vide : le fantôme de l'absence de fantôme »2 Si, remarquant un vide nous le composons de présence, remarquant un vide alors que rien n'est absent, nous composons la présence du vide.« Comme lieu de l'émergence, dans l'acte même de la négation, de l'infigurabilité ; la présentation postule une réflexion centrée sur l'absence conçue en tant que position : I'acte est visé et non l'objet de l'acte. Il s'agit en quelque sorte de nier les enveloppes successives»3.

La fantasmagorie est l'un des facteurs qui contribua au développement des réalisations techniques, permettant de modifier notre perception de l'univers, de creuser dans le visible un abîme, faisant apparaître un autre visible échappant à la réalité. Cette illusion en "creux", cerne d'un trait limite un lieu vide, déterminant ainsi une profonde crevasse dans la continuité du réel : tentative pour délimiter encore un territoire autre« L'artiste, c'est quelqu'un qui tourne dans le vide, sans réussir à dénoncer à décrire le vide : son objet, c'est la membrane transparente, I'enveloppe impalpable du vide, à l'intérieur duquel il se trouve...»4.

 

TELEOSCOPE : L'EMETEUR

"Le téléoscope de Monsieur Dussaud : l'émetteur", 1898

 

Contrairement à la "Camera obscura" utilisée par les peintres tel Léonard De Vinci, qui fonctionnait uniquement dans le sens réalité -> œuvre d'art, se contentant de projeter sur la paroi d'une pièce plongée dans l'obscurité, sans la transformer, l'image d'un objet ou d'un paysage ; des découvertes comme le microscope (1590), la lunette astronomique (1609), ou plus récemment la lanterne magique ou le praxinoscope, permettaient de modifier selon les lois de l'optique, la forme et la dimension des objets ou le sentiment de leur distance accentuant concrètement l'impression de vivre dans un univers d'apparences.
C'est à cette même époque que Descartes avec"Traité de la lumière" pose à sa manière le problème du mensonge entre les choses et les mots - entre les choses et leur représentation - de la différence irréductible entre le concept et l'élément phonétique, effectuant ainsi un parallèle avec la perception de la lumière :« Vous savez bien que les paroles n'ayant aucune ressemblance avec les choses qu'elles signifient, ne laissent pas de nous les faire concevoir (...) Or si des mots, qui ne signifient rien que par l'institution des hommes, suffisent pour nous faire concevoir des choses avec lesquelles ils n'ont aucune ressemblance, pourquoi la nature ne pourra-t-elle pas avoir établi un certain signe qui nous donne le sentiment de la lumière, bien que ce signe n'ait rien en soi qui soit semblable à ce sentiment ? ». Il souligne par ce fait le caractère illusoire et relatif du monde réel et de sa compréhension. C'est le problème du discours qui dit "M" mais qui en fait devrait dire "ème" et qui a le privilège de pouvoir dire "aime" pour le lecteur qui lit "M" : le discours qui masque un autre discours :"TRADUTTORE - TRADITORE".

 

TELEOSCOPE : LE RECEPTEUR

"Le Téléoscope de Monsieur Dussaud : le récepteur", 1898

 

Si la vidéo est la seule expérience où le temps nous est donné comme perception, lors du montage, le réalisateur se trouve confronté aux problèmes de la narration. Pour distinguer l'image cinématographique et la photographie, Metz n'invoque pas le mouvement mais la narrativité« Passer d'une image à deux, c'est passer de l'image au langage. »5 Mais la vidéo qui intériorise le monde extérieur, possède un langage propre dont l'articulation est différente de celle du langage parlé ou écrit.

Gérard Giachi, 1987

 


NOTES

1 - Texte rédigé en 1987.
2 - Extrait du texte de Gérard Giachi "Impressions des îles Chatham". Dans le catalogue de l'exposition au Musée Cantini "Les gardiens du jeu", il est imprimé à l'envers, obligeant le lecteur à utiliser un miroir pour le déchiffrer.
3 - Murielle Gagnebin dans "L'irreprésentable ou les silences de l'œuvre".
4 - Pierre Tilman, 1988 dans "Bonne chance Giachi! et bon secret".
5 - Metz dans "Le signifiant imaginaire".


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installations vidéo

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