t r o u é e
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équipe. Le plasticien se sent obligé de tout faire lui-même... Une installation par exemple, c'est très mal vu.
C'est invendable, d'abord...
Oui, et puis ça ne peut fonctionner que dans l'institution.Et ensuite, d'ailleurs, ça va au placard, parce que ç'est trop compliqué à montesça prend de la place. On reproche à l'installation ses pannes techniques, mais une peinture s'écaille aussi.
L'installation, comme la peinture, a besoin d'être entretenue, restaurée.
Alors, cette pièce d'Artaud...
Ah, oui... Ce projet est une extrapolation du puits d'écrans vidéos où les images sont maintenant remplacées par le son. Imagine, ou plutôt entend, l'enregistrement gravé sur disque 45 tours de "Pour en f finir avec le jugement de dieu" : ses déclamations à la voix famélique sont maintenant multipliées par dix platines stéréos et ces disques sont rayés à dix endroits différents, le tout disposé en cercle. On retrouve avec "Absens" la sensation d'abîme où le vide infini est remplacé par un trop plein de son illimité. Avec Artaud, un trop-plein de sens. Ces deux installations parlent de poésie, du territoire de la poésie. J'ai vu des enfants se pencher dans le puits et s'en écarter rapidement, effrayés par le gouffre. Pour moi, le puits, c'était surtout la chute et le vertige. Dans "Absens", je voulais pousser à bout ce travail, et j'ai trouvé qu'Artaud était ce qu'il y avait de mieux, d'abord parce que sa manière de déclamer les choses me donne le vertige, Artaud n'était pas fou, il a été toxicomane mais toujours très lucide... Ou s'il a été fou, on s'en fout.
Et les galeries ?
La galerie était un endroit créatif, ça devait fusionner, ça devait moissonner dans les cervelles... Aujourd'hui, la galerie est devenue ce qu'étaient les anciens salons, où s'exposent les œuvres établies. Les œuvres n'y sont pas corrosives, même si on peut le faire croire. Jeff Koons, pour moi, n'est pas corrosif. Il ne fait que copier ; ça intéresse les gens, ça intéresse Art-Press qui est devenue la pire des merdes comme revue d'art.
Comment as-tu rencontré l'art contemporain ?
Je l'ai découvert par les premiers numéros d'Art-Press et d'Opus, c'est à dire la performance... Les artistes avaient envie d'avancer et ils ont avancé dans la galerie jusqu'à la mort. Un artiste allemand s'est castré dans la galerie, un poisson enfoncé dans le cul, il en est mort. À ce stade, je considère cela comme un geste pathologique et non comme œuvre d'art.
Par contre, Gina Pane est pour moi une véritable artiste. Elle a su s'arrêter de se maquiller avec des lames de rasoir et des morceaux de verre... Dans l'art contemporain, on ne savait plus si l'œuvre était l'expression d'un dérèglement pathologique ou l'expression d'une envie de créer. Il y a eu atteinte au corps, le corps est sacré. La galerie est morte le jour où l'on est mort dans la galerie. Les galeries ont remplacé la mort par un retour au business et au fric. Ce sont les galeristes et les institutions muséales qui créent l'œuvre d'art... et qui la tuent...
Les critiques aussi ?
Oui, oui; l'establishment ne laisse pas les artistes s'exprimer. Les gens de pouvoir exploitent les œuvres pour faire passer leur propre opinion de l'art.
Eléonor Zastavia |
Se retrouver dans un état d'extrême secousse, éclaircie d' irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel.
Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité.
Savez-vous ce que c'est que la sensibilité suspendue, cette espèce de vitalité terrifique et scindée en deux, ce point de cohésion nécessaire auquel l'être ne se hausse plus, ce lieu menaçant, ce lieu terrassant.
Antonin Artaud
Fragments de
Le Pèse-nerf
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La parole n'est pas son fort, les images font de sacrés détours, mais Gérard Giachi retombe toujours sur ses fantasmes... et sur ses pieds. On se souvient de ses installations.... Il puise son inspiration dans la difficulté même, vivre et , aimer. L'amour, la poésie... et Marseille comme un refuge. Conversation attachante avec un artiste hanté par l'incommunicabilité...
Planète Sud : Alors, c'est quoi pour toi, l'amour ?
Gérard Giachi : Tu commences fort.., (rire). C'est un peu comme si tu demandais : "C'est quoi l'art ?" Ce que je vois dans l'amour, comme dans l'art, c'est la difficulté de s'exprimer. Alors, je dirais que l'amour, c'est peut-être la difficulté d'aimer.
Et la poésie... ?
C'est aussi la recherche... Exprimer ce qu'on a vraiment envie de dire, d'une manière qui serait parfaite. Je sais que ce n' est pas possible ... Et on en revient à ta première question, c'est comme l'amour... L'amour n'est pas possible non plus...
Alors, cette fascination pour les trous ?
Je suis fasciné par les trous parce que j'ai un projet là-dessus depuis dix ans. Je veux absolument faire ce travail, bien que ce ne soit pas celui que je préfère. Mais c'est comme un rêve... Le projet s'appelle "Impressions des îles Chatham" qui sont les antipodes de la région marseillaise. L'installation consiste en un miroir, un cercle de moniteur vidéo, et un miroir sans tain par dessus donnant l'impression d'un vide infini. Le tout construit à la dimension d'un puits. Et là, ce sont des images vidéo, un oiseau qui se tape de tous les côtés dans le moniteur. Le truc, c'est de faire un puits en France et un autre en Nouvelle-Zélande, pour aller jusqu'au bout. En fait, virtuellement ou non, il s'agit de traverser le monde par liaison satellite directe. Lorsqu'on se penchera vers le puits en France, on verra aussi l'autre personne qui se penche au même instant aux antipodes et vice-versa.
La chute, en somme...
Oui. Je me suis mis à chercher des textes autour de ça. Blanchot par exemple, parle beaucoup de la chute... C'est drôle d'ailleurs, parce que Blanchot en parlant sans cesse de cette impossibilité d'écrire, représente pour moi l'écrivain qui est le plus proche de l'écriture. Avec cette phrase par exemple : "Ne pas penser cela sans retenue, avec excès, dans la fuite panique de la pensée. "La fascination du trou, donc, et de l'image...
Oui. J'ai fait ce rapprochement entre le corps humain et le corps céleste... Et je me suis rendu compte que ce ne pouvait pas être le vagin puisqu'il y avait cette idée de pénétrer mais aussi de traverser. Je me suis tourné alors vers les ouvertures bouche et anus, mais ma façon de voir n'était pas dans le seul sens unique : manger, digérer et chier. Dans la pipe et la sodomie par exemple, le double sens est possible. J'ai fait un projet d'édition exposé à la galerie Porte-Avion à partir des planches détournées de l'Encyclopédie de Diderot. La proportion d'images en rapport avec la bite ou le cul est étonnante dans tout ce qui touche à l'anatomie et à la chirurgie. Les gravures sont souvent bien plus pornos que des photos pornos. En tournant les pages, je me suis aperçu que cela devenait complètement sado-maso. Il y a aussi une image d'un outil chirurgical comme une alène qui pénètre l'anus et traverse l'intérieur du ventre. Il y a une sphère dans le ventre d'ailleurs, comme un globle terrestre. Toujours avec ce doigt qui pénètre et traverse...
Tu as aussi le projet de travailler la matière sonore avec des extraits d'Artaud je crois... ?
L'outil pour moi, n'a pas d'importance. Si par exemple, l'outil me dépasse et que je ne sais pas le manier, je fais appel à des gens qui vont savoir tenir une caméra faire un enregistrement ou trafiquer des couleurs pour obtenir ceque je veux. Je n'ai aucune gêne à travailler en
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Planète Sud n°2 - février 1994 |
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