Il essaie d'évaluer la juste parenté entre art et artifice. L'art serait un mensonge assumé qui jouerait sur des zones d'incertitude, sur des écarts : écart entre une œuvre et celui qui la crée, différence entre un projet et sa réalisation, différence entre une situation personnelle et une situation générale, bref tout ce qui occasionne des séries de déperditions et de malentendus. C'est dans ces écarts, dans ces glissements et dans ces rattrapages que l'œuvre se noue et qu'elle affirme sa position.
Constat de dilution, de déperdition, de disparition. La proie a disparu derrière l'ombre et si l'on vient à la retrouver, on ne sait plus lui donner de nom.
Effet d'évidement dans les œuvres mêmes, dans les non-lieux qu'elles proposent. Le puits sans fond des Impressions des îles Chatham est une sculpture à rebours qui, au lieu d'être érigée, creuse comme un gant retourné un semblant d'abîme. Les séquences-vidéo couplées au praxinoscope de la Zeitmaschine montrent un incendie dans une pièce vide.
On retrouve ce même vide dans la construction des séquences, dans la façon de morceler les plans, les visages, de ne donner que le minimum d'une image, de ne jamais s'y complaire, dans la façon aussi de baisser le son jusqu'à l'inaudible pour que le spectateur se penche et pour qu'à partir de bribes, il puisse se tracer son propre chemin. Il y a des lacunes dans la narration mais toute latitude nous est offerte pour qu'elle suive son cours. C'est que, suffisamment large et imprécise pour capter l'imagination, elle est aussi, de loin en loin, étayée par les séquences et les matériaux. Cependant, l'auteur - c'est ainsi que je préfère le nommer - s'il nous propose une interprétation, c'est pour nous la retirer aussitôt.
Chaînes d'images et chaînes de mots sont articulées par un blanc, par un interstice. Persistance mentale et rétinienne font que nous glissons sur cette absence et que nous ne la voyons remonter ni de la page ni du montage. Pourtant, cette lecture en creux est parti prenante de la narration, négatif d'autant plus sensible à son passage qu'il représente aussi une interruption.
La prise en charge de cette part de limbes, de cette vie blanche à rebours de l'apparence où la pensée comme les images sont avalées par l'informe, constitue une des préoccupations de cette œuvre. D'où l'insistance sur les termes qui la contiennent: l'absence et le secret, même si le dévoilement de ce dernier est toujours décevant.
Décevants, les trucs de l'illusionniste, peu convaincantes, les images de nos fictions, criblées par les manques qui les ravaudent, les récits de nos lectures
Cependant, c'est dans la mesure où l'on est capable de se jeter dans ce blanc, de passer le pas par-dessus le vide, que la création est possible. Créer, c'est prendre le risque du manque et du vide, c'est déclencher la fuite d'un sens après lequel on court.
Vertige. Chute.
Le secret. Chacun peut apporter sa contribution au dévoilement comme à la confusion. Certaines installations ont besoin d'un acteur et la pièce sollicite une action. Dans la Zeitmaschine, le visiteur qui actionne le praxinoscope devient le Deus ex machina. La boîte noire de Traduttore traditore attend des curieux qu'ils sachent pousser leurs investigations. Et chacun, en ouvrant la boîte, est dépossédé d'un rêve, quitte à en greffer un autre sur l'écran en marche du téléviseur où un miroir reflète un réveil.
Le temps. Ce n'est pas pour rien que dans les pièces intitulées Etats d'absence du... le plus vieux moyen de représentation : le dessin, est couplé au plus récent: le moniteur-vidéo. On retrouve le même cas de figure dans la Zeitmaschine où le praxinoscope, ancêtre rudimentaire du cinéma, est appareillé au medium d'aujourd'hui. Cette façon de contenir les plus vieux motifs de la fascination - la flamme, les ronds dans l'eau - dans les instruments les plus modernes, suscite l'idée d'un temps immobile ou circulaire où les mêmes données s'échangent et se conjuguent.
Surgit alors de la rencontre entre tous ces matériaux qui révèlent le peu d'épaisseur des images ou leur aspect fantomatique et volatil, une sorte de vision du monde à la Borgès où les mêmes récits perpétuent leur immobilité, niant toute progression historique mais aménageant des chemins de traverse et des relais dans le temps et dans l'espace.
Frédéric Valabrègue.