DATES DE PEREMPTION


















FRAC-PACA
Conseil Régional Provence Alpes Côte d'Azur
Ministère de la Culture et de la Communication

 

 

GERARD GIACHI
De la magie à l'image: anagramme de l'imposture et de l'étonnement.

La machine a connu une période d'enfance et d'Utopie où elle cherchait d'abord à émerveiller: ainsi le cinéma de Méliès qui, au lieu de se mettre à la remorque du roman, explora avec fringale les possibilités de cette nouvelle invention.

Il y eut même une époque où les expériences scientifiques tombaient entre les mains des escrocs et la crédulité des spectateurs servait la cause de l'occultisme. La Science garantissait la superstition. Elle allait à la rencontre des rêves archétypaux: voler, se rendre invisible, être doué d'ubiquité, voyager à travers le temps ! Les mensonges qu'elle créait réinventaient des mythologies de bonimenteur et les savants fous se retrouvaient parmi les forains, entrebâillant le rideau de leur théâtre d'ombres.

Chaque installation-vidéo de Gérard Giachi a pour première résonance, dès la lecture du titre, un parfum de fantastique et d'aventure. Le ton doctoral des lectures d'adolescence nous revient en mémoire et nous nous souvenons des théories fantaisistes qui cachaient sous une pléthore de références les lacunes de leur démonstration.

Dans toute mystification, l'effet spectaculaire est proportionnel à la partie occultée. Côté lumière, côté coulisse, côté miroir et côté tain. Comment c'est bâti, comment c'est construit ou comment c'est cousu, voilà les accrocs, les blancs ou les silences qu'il faut dissimuler. La mécanique de l'illusion se doit de disparaître pour laisser champ libre à ses effets. Montrer, c'est attirer l'attention pour cacher l'origine de ce qui apparaît. C'est jeter de la poudre aux yeux pour mieux disparaître.

Qu'est ce qu'un illusionniste? Est-ce vraiment quelqu'un qui cherche à faire du vrai avec du faux et dont la démiurgie candide et mégalomaniaque consiste à imiter le surnaturel ? Je ne le crois pas. La fonction de l'illusionniste est de nous faire rêver aux coulisses de son art. Les ficelles du stratagème nous invitent à réfléchir sur la part cachée.

L'ancien cabinet des curiosités, fleuron de l'illusionnisme baroque, était rempli d'aberrations qui ne cherchaient pas à piéger la crédulité, bien au contraire. Le trompe-l'œil est moins au service de la foi que du scepticisme. L'illusionnisme propage le doute. Il mesure un écart. Il triche pour mieux jauger nos facultés critiques. En même temps qu'il crée l'illusion, il la dénonce. L'œuvre de Gérard Giachi s'inscrit dans une sorte de bascule ou de revirement incessant qui va d'une apparition illusoire à son effacement.

Deux temps toujours. Apparition, dévoilement. Boîte fermée et boîte ouverte de Traduttore Traditore. Temps du faire et temps du regard : praxinoscope actionné par une bicyclette de la Zeitmaschine et retransmission-vidéo de son mouvement. Deux stades de représentation canalisation dessinée au feutre et moniteur-vidéo-lavabo d'Etat d'absence du... Toujours une structure binaire.

On pense aussi à l'entre-deux, à l'articulation qui permet le passage du sens d'un élément à l'autre. Et cette articulation nous amène la notion d'un récit et surtout celle de l'établissement d'un langage sur le mode de la sculpture, de la couleur, du texte, du son et de la musique.

Deux lignes de force parallèles sont encore en miroir l'une de l'autre : l'imaginaire mais aussi la prise en compte d'une situation. L'art illusionniste est toujours une autocritique consciente de l'art. En même temps que Gérard Giachi nous parle des chausse-trappes et des double-fonds de nos rêves - et la vidéo qui est l'instrument du faux par excellence décline sur tous les modes son peu d'épaisseur - il nous entretient de sa propre situation d'artiste, y incluant une part critique qui va du désespoir à l'adhésion.

Impressions des îles Chatham
120 x 80 x inf
Musique de Elysabeth et Bertrand Mohr-Daurat

 

 










 

 

Il essaie d'évaluer la juste parenté entre art et artifice. L'art serait un mensonge assumé qui jouerait sur des zones d'incertitude, sur des écarts : écart entre une œuvre et celui qui la crée, différence entre un projet et sa réalisation, différence entre une situation personnelle et une situation générale, bref tout ce qui occasionne des séries de déperditions et de malentendus. C'est dans ces écarts, dans ces glissements et dans ces rattrapages que l'œuvre se noue et qu'elle affirme sa position.

Constat de dilution, de déperdition, de disparition. La proie a disparu derrière l'ombre et si l'on vient à la retrouver, on ne sait plus lui donner de nom.

Effet d'évidement dans les œuvres mêmes, dans les non-lieux qu'elles proposent. Le puits sans fond des Impressions des îles Chatham est une sculpture à rebours qui, au lieu d'être érigée, creuse comme un gant retourné un semblant d'abîme. Les séquences-vidéo couplées au praxinoscope de la Zeitmaschine montrent un incendie dans une pièce vide.

On retrouve ce même vide dans la construction des séquences, dans la façon de morceler les plans, les visages, de ne donner que le minimum d'une image, de ne jamais s'y complaire, dans la façon aussi de baisser le son jusqu'à l'inaudible pour que le spectateur se penche et pour qu'à partir de bribes, il puisse se tracer son propre chemin. Il y a des lacunes dans la narration mais toute latitude nous est offerte pour qu'elle suive son cours. C'est que, suffisamment large et imprécise pour capter l'imagination, elle est aussi, de loin en loin, étayée par les séquences et les matériaux. Cependant, l'auteur - c'est ainsi que je préfère le nommer - s'il nous propose une interprétation, c'est pour nous la retirer aussitôt.

Chaînes d'images et chaînes de mots sont articulées par un blanc, par un interstice. Persistance mentale et rétinienne font que nous glissons sur cette absence et que nous ne la voyons remonter ni de la page ni du montage. Pourtant, cette lecture en creux est parti prenante de la narration, négatif d'autant plus sensible à son passage qu'il représente aussi une interruption.

La prise en charge de cette part de limbes, de cette vie blanche à rebours de l'apparence où la pensée comme les images sont avalées par l'informe, constitue une des préoccupations de cette œuvre. D'où l'insistance sur les termes qui la contiennent: l'absence et le secret, même si le dévoilement de ce dernier est toujours décevant.

Décevants, les trucs de l'illusionniste, peu convaincantes, les images de nos fictions, criblées par les manques qui les ravaudent, les récits de nos lectures
Cependant, c'est dans la mesure où l'on est capable de se jeter dans ce blanc, de passer le pas par-dessus le vide, que la création est possible. Créer, c'est prendre le risque du manque et du vide, c'est déclencher la fuite d'un sens après lequel on court.

Vertige. Chute.

Le secret. Chacun peut apporter sa contribution au dévoilement comme à la confusion. Certaines installations ont besoin d'un acteur et la pièce sollicite une action. Dans la Zeitmaschine, le visiteur qui actionne le praxinoscope devient le Deus ex machina. La boîte noire de Traduttore traditore attend des curieux qu'ils sachent pousser leurs investigations. Et chacun, en ouvrant la boîte, est dépossédé d'un rêve, quitte à en greffer un autre sur l'écran en marche du téléviseur où un miroir reflète un réveil.

Le temps. Ce n'est pas pour rien que dans les pièces intitulées Etats d'absence du... le plus vieux moyen de représentation : le dessin, est couplé au plus récent: le moniteur-vidéo. On retrouve le même cas de figure dans la Zeitmaschine où le praxinoscope, ancêtre rudimentaire du cinéma, est appareillé au medium d'aujourd'hui. Cette façon de contenir les plus vieux motifs de la fascination - la flamme, les ronds dans l'eau - dans les instruments les plus modernes, suscite l'idée d'un temps immobile ou circulaire où les mêmes données s'échangent et se conjuguent.

Surgit alors de la rencontre entre tous ces matériaux qui révèlent le peu d'épaisseur des images ou leur aspect fantomatique et volatil, une sorte de vision du monde à la Borgès où les mêmes récits perpétuent leur immobilité, niant toute progression historique mais aménageant des chemins de traverse et des relais dans le temps et dans l'espace.

Frédéric Valabrègue.

La machine à remonter le temps 1926
Bruno Giachi
Film 35 mm

 

Gérard Giachi

 

FREDERIC CLAVERE
GERARD GIACHI
GUY GIRAUD
YANNICK GONZALEZ
GOU HY - JEONG
THIERRY THOUBERT







 


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