Gérard Giachi
Autopsia

 

 

Il s'imaginait ne pas "créer" parce que la création,
même si elle produit l'erreur,
se donne toujours pour l'amour de quelqu'un qui n'est pas nous.
Mais sans s'en apercevoir,
il était en train de passer de l'autre côté de la sphère.
Il créait,
et il eût mieux valu qu'il ne l'ait jamais fait.











UMBERTO ECO, LE PENDULE DE FOUCAULT

-121-

 

ENCYCLOPEDIE
ou
DICTIONNAIRE RAISONNE
DES SCIENCES
DES ARTS ET DES METIERS



ANTIPODES : adj. pl . m. (Géog.) Platon paffe pour avoir imaginé le premier la poffibilité des antipodes , & pour être l'inventeur de ce nom. Comme ce Philofophe concevoit la terre fphèrique , il n'avoit plus qu'un pas à faire pour conclure l'exiftence des antipodes. Voyez TERRE.
La plûpart des anciens ont traité cette opinion avec un fouverain mépris ; n'ayant jamais pû parvenir à concevoir comment les hommes & les arbres fubfiftoient fufpendus en l'air les piés en haut , en un mot , tels qu'ils paroiffent devoir être dans l'autre h'émifphère.

Ils n'ont pas fait réflexion que ces termes en-haut, en-bas, font des termes purement relatifs , qui fignifient feulement plus loin ou plus près du centre de la terre ; centre commun où tendent tous les corps pefants ; & qu'ainfi nos antipodes n'ont pas plus que nous la tête en-bas et les piés en-haut , puifqu'ils ont comme nous les piés plus près du centre de la terre , & la tête plus loin de ce même centre. Avoir la tête en-bas & les piés en-haut ; c'eft avoir le corps placé de manière que la direction de la pefanteur fe faffe des piés vers la tête : or c'eft ce qui n'a point lieu dans les antipodes ; car ils font pouffés comme nous vers le centre de la terre, fuivant une direction qui va de la tête aux piés.

DIDEROT & D'ALEMBERT, M. DCC. LI

-122-

 

 

 

Gérard Giachi

 

 

« Descend dans le cratère du Yocul de Sneffel que l'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de juillet, voyageur
audacieux, et tu parviendras au centre de la terre. Ce que j'ai fait. »

- « Montons, » dit mon oncle.
- « Mais, le vertige ? » répliquai-je.
- « Raison de plus, il faut s'y habituer. »
- « Regarde, me dit-il, et regarde bien ! il faut prendre des leçons d'abîme ! »
Je n'avais point plongé mon regard dans ce puits insondable où j'allais m'engouffrer. Le moment était venu. Je pouvais encore prendre mon parti de l'entreprise ou refuser de la tenter.
Je me penchai au-dessus d'un roc qui surplombait, et regardai, le fond du trou était encore invisible ; mes cheveux se hérissèrent. Le sentiment du vide s'empara de mon être. Je sentis le centre de gravité se déplacer en moi et le vertige monter à ma tête comme une ivresse. Rien de plus capiteux que cette attraction de l'abîme.
J'allais tomber.
Décidément, je n'avais pas pris assez de leçons de gouffre.



JULES VERNE, VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE

-126-

 

Gérard Giachi

 

 

«Je vois la bouche ouverte d'un serpent qui vient de mourir. Je comprends à présent ce qu'est l'Ourobouros, le serpent qui se mord la queue, car sa bouche et son anus sont une seule et même chose. L'Ourobouros, c'est la bouche qui mord l'anus, l'identité grecque, pour laquelle A est égal à A ; dans le serpent égyptien, ce qui crée est égal à ce qui détruit. Le phallus in integrum restitutum, dont le revers se trouve dans le morceau de chair de la gueule du serpent. (...) Intestin visible, guettant le retour de la noire planète placentaire qui le fera dormir. Il dort, commence à respirer, songes informe caillot de sang franchissant le défilé des anneaux. "Pli selon pli ", comme dit Mallarmé. Et au bout, le caillot devient bouche.»
« Ils se dressent à la verticale, leur bouche dans la bouche de l'homme, se lovent, se chevauchent, des bras sortent de l'anus comme des queues oscillantes. Le gouffre de Trophonios se contracte, poursuit son noir dessein, ailes de chauve-souris, débris de stalactites, excrément pétrifié, res extensa de cuivre martelé, semences enterrées de muscinées, museau écrasé, carton gris de fils d'araignée, cartable effiloché détrempé. Tout y entre ! Les coups de boutoir du cylindre des légions ondulantes, qui veut forcer, coûte que coûte, le passage, et le noir dessein, Trophonios ébranlé cédant, élastiques avachis, un anneau de plus est enfoncé. (...) Tout y entre ! Et encore, le paon nourri d'araignées et de serpents, et la queue du paon opposée à la naissance du monde, et la queue de Junon où s'inscrivent les constellations. Pourquoi le paon arrête-t-il le serpent ? (...) C'est le triomphe du ciel étoilé sur le sang qui couvre la gueule du serpent, où glissent toutes les couleurs de la queue du paon, comme si la voûte céleste se précipitait sur le sang avec la rougeur qui rampe et le bleu du caillot, le sang sur le bûcher, le déploiement brusque de la queue du paon paradant sur le ciel d'été, la gueule du serpent lassée du phallus, gueule qui mord l'anus dans le froid attendu de l'Eternel Retour. Tout y entre ! Le centre est dans la bouche, quincunce battu par le vent qui a soufflé sur le bûcher, étouffé par le sang du serpent, fruit d'un sacrifice, celui de la bouche du fruit. Dans la colonne qui a remplacé le bûcher, on voit les queues de cinq serpents enterrés qui ne peuvent former le cercle ni jouer de leur feu. Quand l'un d'eux réussit à sortir la tête de la colonne, c'est un serpent mort, la colonne, gaine d'un Terme, comme un phallus qui sourit, ne tient plus dans sa bouche. Le cercle s'ouvre en spirale, troublée la voûte céleste déploie la queue du paon. Secouer la tête du serpent, c'est provoquer un tourbillon dans le Chaos ... »

JOSÉ LEZAMA LIMA, OPPIANO LICARIO

-128-

 

Gérard Giachi

 

 

 

 

 

 

Ce numéro 1.3 de la revue
Nioques
a été tiré à 700 exemplaires
sur les presses de Petrilli
Ventimiglia
pour le compte des éditions
AI Dante
la deuxième semaine du mois d'avril 1997.
Les vingt-cinq premiers numéros sont numérotés
et accompagnés d'une gravure
de Gérard Giachi.













Editions Al Dante : 10 rue Adolphe Thiers 13001 Marseille
© 04 91 92 52 14
Dépôt légal : avril 1997
n° ISSN : 1148-4896
n° ISBN : 2-911073-09-6

 

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Les vingt-cinq premiers numéros sont accompagnés
d'une gravure originale de Gérard Giachi

"Pénétrer les entrailles de la terre"

1997 - 33 X 50


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