GERARD GIACHI
Marseille,
Galerie de l'Ecole d'Art
Mars 1989
Par-delà des formes variées et des apparences trompeuses, quatre ou cinq expositions de groupe ont permis à Gérard Giachi d'imposer de pièce en pièce l'évidente continuité d'un axe de travail où la dualité et l'ambivalence apparaissent comme la manifestation la plus flagrante de sa perception, comme une distance par rapport aux choses dans laquelle s'affirme la personnalité d'une œuvre solitaire, soudain de plain-pied avec les préoccupations de son époque.
Révélateur de la richesse de la création artistique à Marseille et des formes multiples d'expression qu'elle engendre, ce travail qui a fait l'objet de l'exposition inaugurale de la Galerie de l'Ecole d'Art de Marseille au mois de mars joue de l'artifice dans les registres de l'architecture, de l'apparence et de l'absence ou du vide, Travaillant sur l'espace réel ou fictif au moyen de la vidéo et de formes ou de matériaux classiques, liés en particulier à l'architecture, Giachi stigmatise les faux-semblants de l'univers |
moderne dont il dénonce les apparences, les séductions et les simulacres. Impressions des îles Chatham, créée en 1986 pour une exposition au Musée Cantini à l'invitation de Marie-jo Lafontaine, est un puits sans fond - montré ici dans une nouvelle version carossée d'une pesante margelle néo-classique - à l'intérieur duquel sept moniteurs disposés en cercle répercutent à l'infini l'image d'un toucan qui s'agite, grâce à un jeu de glace et de miroir saris tain, donnant l'illusion d'une profondeur sans limite, débouchant théoriquement donc aux antipodes, aux îles Chatham. L'utopie de l'intention rejoint celle de l'architecture en contre-plaqué et faux marbre de papier peint dans la fascination de l'image et le rêve poétique. Aux pièces architecturées telle encore L'arc de la mort se dénoue en un nouvel effet de séduction où vingt-deux téléviseurs formant un arc en plein cintre irradient de leur lumière bleue un paon naturalisé, répondent d'autres plus ludiques qui prennent en défaut nos conventions et nos usages. Etat d'absence du 4 mars 1989 met en scène un robinet gauchement tracé sur un mur au bout de sa tuyauterie, au-dessous duquel un téléviseur, écran tourné vers le |
haut, montre le fond d'une cuvette de lavabo où tombe un lent goutte à goutte dont on entend le bruit résonner dans le silence. L'installation intitulée (...) représente ce signe peint sur une grande toile blanche. A l'autre bout de la salle un téléviseur allumé, posé sur une chaise longue et relié à une caméra vidéo, en reproduit l'image. Le problème est que la caméra est factice puisque simplement dessinée sur le mur avec son câble qui la relie au téléviseur. Mais l'image du téléviseur n'est pas vraie non plus puisqu'elle est peinte sur l'écran comme elle l'est sur la toile. L'illusion pourtant est parfaite de retransmission de l'image par la vidéo. Magie qu'utilise encore Giachi pour faire traverser au vent le paroi d'un mur: une caméra filme un ventilateur en mouvement dont l'image est diffusée de l'autre côté du mur par un téléviseur devant lequel une chaussette rayée est maintenue tendue comme une manche à air. Des architectures pompeuses et morbides aux tours d'illusionnistes, Giachi déploie sa malice dans la sobriété des moyens. L'efficacité de ses effets sème le trouble et jette le doute sur les apparences entre les deux termes ou se situe son travail: le vrai et le faux, le tragique et le drôle, la surface et la profondeur, la lumière et la pénombre. Sa manière de dérouter et de surprendre sans jamais se laisser cerner, d'échapper à tout enfermement et toute réduction l'apparente sans aucun doute à l'esprit baroque, au baroque contemporain dont Guy Scarpetta a donné cette définition dans son ouvrage sur L'artifice: Une façon de combattre l'illusion par les moyens même de l'illusion. D'opposer le mouvement à l'ordre stable, la surface à la profondeur, le jeu à l'authenticité, la séduction des formes à l'innocence. D'afficher et de revendiquer partout l'artifice, comme pour suggérer que l'art n'est jamais 'naturel'. Significatif de notre temps, le regard que Giachi porte sur le monde s'inscrit au cœur du débat sur la modernité. Il s'inscrit aussi dans notre quotidien dont sa poésie, ironique ou grave, révèle, derrière l'écran familier, l'illusoire liberté semblable au vol de l'aigle naturalisé de sa pièce intitulée Ab absurdo, majestueux mais éternellement figé, rivé sur une assise lourdement architecturée au socle de ciel bleu d'un écran de télé dont la lumière vibrante demeure profonde comme un monochrome de Klein.
Jean-Noël OUDIN |