La parole n'est pas son fort, les images font de sacrés détours, mais Gérard Giachi retombe toujours sur ses fantasmes... et sur ses pieds. On se souvient de ses installations... il puise son inspiration dans la difficulté même , vivre et , aimer. L'amour, la poésie... et Marseille comme un refuge. Conversation attachante avec un artiste hanté par l'incommunicabilité.

AI Dante : Alors, c'est quoi pour toi l'amour ?
G. Giachi : Tu commences fort... C'est un peu comme si tu demandais : c'est quoi l'art ? Ce que je vois dans l'amour, comme dans l'art, c'est la difficulté de s'exprimer. Alors je dirais que l'amour c'est peut-être la difficulté d'aimer.

La poésie ?
C'est aussi la recherche... Exprimer ce que l'on a vraiment envie de dire d'une manière qui serait parfaite. Je sais que ce n'est pas possible, et on en revient à ta première question : c'est comme l'amour... l'amour n'est pas possible non plus.

Et ta fascination pour les trous ? J'ai un projet là-dessus depuis 10 ans. Je veux absolument faire ce travail bien que ce ne soit pas celui que je préfère. Mais c'est comme un rêve... le projet s'appelle "Impressions des îles Chatam", qui sont les antipodes de Marseille. L'installation consiste en un miroir, un cercle de moniteurs vidéo et un miroir sans tain par dessus donnant l'impression d'un vide infini. Le tout construit à la dimension d'un puits. Et là, ce sont des images vidéo, un oiseau qui se tape de tous les côtés dans le moniteur. Le truc, c'est de faire un puits en France et un autre en
Nouvelle-Zélande pour aller jusqu'au bout. En fait, virtuellement ou non, il s'agit de traverser le monde par liaison satellite directe.

Lorsqu'on se penchera vers le puits en France, on verra aussi l'autre qui se penche au même instant aux antipodes. Et vice-versa

La chute, en somme...
Oui. Je me suis mis à chercher des textes autour de ça. Blanchot, par exemple, parle beaucoup de la chute... C'est drôle d'ailleurs, parce que Blanchot en parlant sans cesse de l'impossibilité d'écrire représente pour moi l'écrivain le plus proche de l'écriture. Avec cette phrase par exemple : "Ne pas penser : cela sans retenue, avec excès, dans la fuite panique de la pensée".

Tu as aussi le projet d'un travail avec des extraits sonores d Artaud ?
Ce projet est une extrapolation du puits d'écrans vidéo où les images sont remplacées par le son. L'enregistrement gravé sur disque 45 tours de : "Pour en finir avec le jugement de dieu", ses déclamations a la voix famélique sont multipliées par 15 platines stéréo et ces disques sont rayés à 15 endroits différents - le tout disposé en cercle. On retrouve la sensation d'abîme où le vide infini est remplacé par un trop plein de son illimité. Avec Artaud, un trop plein de sens. Pour moi, le puits, c'était surtout la chute et le vertige. Artaud n'était pas fou, il a été toxicomane, mais toujours très lucide... Ou s'il a été fou, on s'en fout.

Et les galeries ?
La galerie était un endroit créatif, ça devait fusionner, ça devait moissonner dans les cervelles... Aujourd'hui, la galerie est devenue ce qu'était les anciens salons, où s'exposent les œuvres établies.

Comment as-tu rencontré l'art contemporain ?
Par les premiers numéros d'Art Press et d'Opus ; c'est à dire la performance. Les artistes avaient envie d'avancer... et ils ont avancé dans la galerie jusqu'à la mort.

Un artiste allemand s'est castré dans la galerie, un poison enfoncé dans le cul, il en est mort. A ce stade, je considére cela comme un geste pathologique - et non comme une œuvre d'art. Par contre, Gina Pane est pour moi une véritable artiste. Elle a su arrêter de se maquiller avec des lames de rasoir et des morceaux de verre. Dans l'art contemporain, on ne savait plus si l'œuvre était l'expression d'un dérèglement pathologique- et non comme une œuvre d'art. Par contre, Gina Pane est pour moi une véritable artiste. Elle a su arrêter de se maquiller avec des lames de rasoir et des morceaux de verre. Dans l'art contemporain, on ne savait plus si l'œuvre était l'expression d'un dérèglement pathologique ou celle de l'envie de créer, il y a eu atteinte au corps, le corps est sacré. La galerie est morte le jour où l'on est mort dans la galerie. Les galerie ont remplacé la mort par un retour au business et au fric. Ce sont les galeristes et les institutions qui créent l'œuvre d'art... et qui la tuent...

Que penses-tu de la critique ? L'establishment ne laisse pas les artistes s'exprimer. Les gens de pouvoir exploitent les œuvres pour faire passer leur propre opinion de l'art.

Propos recueillis par Lili Cassis



repères

Gérard Giachi

est né en 1960 à Aubagne
Il est représenté par la Galerie Prochaine exposition le 15 février 96 à la galerie porte Avion. Il y présentera une pièce sonore réalisée autour d'Antonin Artaud.

al dante 9 - novembre 1995

 


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bibliographie

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